LE CINQ-SEC
Autrefois le cinq-sec aurait été amené par le vent, maintenant cela va plus vite. À peine son avion a-t-il atterri à Bangkok qu’il consulte les horaires de départ pour Rio et se fait illico une reservatio mentalis pour Rome. Le cinq-sec vit dans le tumulte des villes. Il y a partout quelque chose à acheter, quelque chose à apprendre.
Il est content de vivre maintenant, car, avant, comment était-ce ? Où allait-on ? Et que les voyages étaient ennuyeux et dangereux ! Maintenant, cela marche sans qu’on soit à bouger le petit doigt. Il suffit de citer une ville pour qu’on y soit déjà allé. Et peut-être qu’on s’y retrouvera un jour, si cela peut se faire en cinq sec, tout est possible. Les gens croient qu’il a déjà été partout, mais lui sait à quoi s’en tenir. De nouveaux aéroports s’ouvrent, de nouvelles lignes surgissent du néant. Des vieillards quinteux peuvent bien rêver de paisibles croisières, il leur souhaite bien du plaisir sur leurs chaises longues, tout ça n’est pas pour lui, lui, il est pressé.
Le cinq-sec a son langage bien à lui. Il consiste en noms de villes et d’unités monétaires, en spécialités exotiques et vêtements, en hôtels, en plages, en temples et boîtes de nuit. Il sait aussi où une guerre est juste en train de faire rage, cela peut être contrariant. Mais souvent règne à proximité un beau désordre, et, s’il n’y a pas trop de danger, il tient à y mêler sa frénésie : il y fonce en moins de deux pour quelques jours, puis, en cinq sec, ailleurs, pour faire contraste, là où c’est le contraire de la guerre.
Le cinq-sec n’a pas de préjugés. Il trouve les hommes partout pareils, car tous veulent toujours acheter quelque chose. Qu’il s’agisse de vêtements ou d’antiquités, ils se pressent dans les magasins. Partout il y a de l’argent, même s’il est différent, on le change partout. Qu’on lui montre donc un endroit au monde où il n’y ait pas de manucures et de bidonvilles. Si ça ne dure pas trop longtemps, rien d’humain ne lui est étranger, il a de l’intérêt et de la compréhension pour tout. Un cinq-sec qu’on laisse agir à sa guise n’est jamais mal disposé envers personne, tout irait mieux sur terre si tout le monde était comme lui. Tout le monde le deviendra, mais il vaut mieux vivre avant qu’on en soit là. Le cinq-sec de masse ne sera pas un plaisir sans mélange. Il pousse un bref soupir, cesse d’y penser, et se sauve dans le premier avion qui se présente.